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et ceci lui donne une autorité souveraine qu’aucun privilège juridique n’a besoin d’appuyer. Dans la famille, l’homme est le bourgeois ; la femme joue le rôle du Prolétariat. Mais dans le monde industriel, le caractère spécifique de l’oppression économique qui pèse sur le prolétariat ne se manifeste dans toute sa rigueur qu’après que tous les privilèges légaux de la classe capitaliste ont été supprimés et que l’entière égalité juridique des deux classes a été établie ; la république démocratique ne supprime pas l’antagonisme entre les deux classes, au contraire : c’est elle qui, la première, fournit le terrain sur lequel leur combat va se décider. Et de même, le caractère particulier de la prédominance de l’homme sur la femme dans la famille moderne, ainsi que la nécessité et la manière d’établir une véritable égalité sociale des deux sexes, ne se montreront en pleine lumière qu’une fois que l’homme et la femme auront juridiquement des droits absolument égaux. On verra alors que l’affranchissement de la femme a pour condition première la rentrée de tout le sexe féminin dans l’industrie publique et que cette condition exige à son tour la suppression de la famille conjugale en tant qu’unité économique de la société.

Il y a donc trois formes principales du mariage, qui correspondent en gros aux trois stades principaux du développement de l’humanité. À l’état sauvage, le mariage par groupe ; à la barbarie, le mariage apparié ; à la civilisation, la monogamie complétée par l’adultère et la prostitution. Entre le mariage apparié et la monogamie se glissent, au stade supérieur de la barbarie, l’assujettissement des femmes esclaves aux hommes et la polygamie.

Comme l’a démontré tout notre exposé, le progrès qui se manifeste dans cette succession chronologique est lié à cette particularité que la liberté sexuelle du mariage par groupe est de plus en plus retirée aux femmes, mais non aux hommes. En réalité, le mariage par groupe subsiste effectivement pour les hommes jusqu’à nos jours. Ce qui est crime chez la femme et entraîne de graves conséquences légales et sociales passe chez l’homme pour fort honorable, ou n’est considéré, au pis aller, que comme une légère tache morale qu’on porte avec plaisir.