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moderne entre les deux sexes, auparavant inconnu dans le monde.

Mais ce progrès résultait décidément de ce que les Germains vivaient encore dans la famille appariée et greffèrent sur la monogamie, autant que faire se pouvait, la position de la femme qui correspondait à leur propre régime familial ; ce progrès ne résultait point du tout de l’admirable et légendaire pureté des mœurs germaniques, laquelle se réduit au simple fait que le mariage apparié ne se meut effectivement pas dans les violentes contradictions morales de la monogamie. Bien au contraire : dans leurs migrations, notamment vers le Sud-Est, chez les nomades des steppes qui bordent la mer Noire, les Germains s’étaient profon­dément dépravés ; ils avaient pris à ces peuples, en plus de leurs prouesses équestres, leurs vices contre nature, comme l’attestent expressément Ammien pour les Taïfals et Procope pour les Hérules.

Mais si, de toutes les formes de famille connues, la monogamie fut la seule dans laquelle pouvait se développer l’amour sexuel moderne, cela ne signifie point qu’il se développa exclusivement, ou même principalement dans son sein, sous forme d’amour mutuel des époux. Le mariage conjugal stable et soumis à la domination de l’homme s’y opposait, de par sa nature. Chez toutes les classes historiquement actives, c’est-à-dire chez toutes les classes dirigeantes, la conclusion du mariage resta ce qu’elle avait été depuis le mariage apparié : une affaire de convenances, que réglaient les parents. Quand l’amour sexuel apparaît historique­ment pour la première fois sous forme de passion, comme une passion qui sied à tout être humain (du moins s’il appartient aux classes dirigeantes), et comme la forme suprême de l’instinct sexuel — ce qui lui donne précisément son caractère spécifique —, cette première forme, l’amour chevaleresque du Moyen Age, n’est point du tout un amour conjugal. Au contraire. Sous sa forme classique, chez les Provençaux, cet amour vogue à pleines voiles vers l’adultère, qu’exaltent ses poètes. La fleur de la poésie amoureuse provençale, ce sont les albas (aubades), en allemand Tagelieder. Ces aubades dépeignent sous des couleurs ardentes comment le chevalier est couché auprès de sa belle — la femme d’un autre —, tandis qu’au dehors guette le veilleur qui l’appellera dès la première lueur de l’aube (alba), afin qu’il puisse encore s’échapper sans être