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grâce à l’hétaïrisme, il y a l’épouse délaissée.] Et l’on ne peut avoir l’un des termes de l’antinomie sans l’autre, non plus qu’on ne peut avoir encore dans sa main une pomme entière, après en avoir mangé la moitié. Il semble néanmoins que telle ait été l’opinion des hommes jusqu’à ce que les femmes leur eussent ouvert les yeux. Avec le mariage conjugal apparaissent constamment deux personnages sociaux caractéristi­ques, qui étaient inconnus jusqu’alors : l’amant régulier de la femme et le cocu. Les hommes avaient remporté la victoire sur les femmes, mais les vaincues se chargè­rent généreusement de couronner leurs vainqueurs. À côté du mariage conjugal et de l’hétaïrisme, l’adultère de­vint une institution sociale inéluctable, — proscrite, sévèrement punie, mais impossible à sup­pri­mer. La certitude de la paternité reposa, comme par le passé, tout au plus sur une convic­tion morale ; et pour résoudre l’insoluble contradiction, le Code Napoléon décréta : «Art. 312. L’enfant conçu pendant le mariage a pour père le mari. Tel est l’ultime résultat de trois mille ans de mariage conjugal.

Dans la famille conjugale, — dans les cas qui gardent l’empreinte de son origine historique et font clairement apparaître le conflit entre l’homme et la femme tel qu’il se manifeste par l’exclu­sive domination de l’homme, — nous avons donc une image réduite des mêmes antago­nis­mes et contradictions dans lesquels se meut la société divisée en classes depuis le début de la civilisation, sans pouvoir ni les résoudre, ni les surmonter. Naturellement, je ne parle ici que de ces cas de mariage conjugal où la vie matrimoniale suit effectivement l’ordonnance du caractère originel de toute cette institution, mais où la femme se rebelle contre la domination de l’homme. Que tous les mariages ne se passent pas de la sorte, nul ne le sait mieux que le philistin allemand, tout aussi incapable d’assurer sa suprématie à la maison que dans l’État et dont la femme porte en conséquence et de plein droit la culotte dont il n’est pas digne. Mais, en revanche, il se croit bien supérieur à son compagnon d’infortune français, à qui il advient, plus souvent qu’à lui-même, des mésaventures beaucoup plus fâcheuses.

La famille conjugale n’a d’ailleurs pas revêtu partout et toujours la forme classique et rigoureuse qu’elle avait chez les Grecs. Chez les Romains qui, en leur qualité de futurs conquérants du monde, avaient des vues plus larges, quoique moins