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étaient instaurés. Nous ne savons ni à quelle époque, ni de quelle façon cette révolution s’est accomplie chez les peuples civilisés. Elle appartient entièrement à la période préhistorique. Quant au fait mime qu’elle a été réalisée, les nombreux vestiges de droit maternel recueillis notamment par Bachofen le prouvent surabondamment ; nous voyons avec quelle facilité elle s’effectue, en l’observant dans toute une série de tribus indiennes où elle ne s’est accom­plie que récemment ou s’accomplit encore de nos jours, tant sous l’influence d’une richesse accrue et de changements dans le mode d’existence (migration de la forêt dans la prairie) que par l’action morale de la civilisation et des missionnaires. Six tribus du Missouri sur huit ont une filiation et un ordre de succession en ligne masculine, mais les deux autres ont encore une filiation et un ordre de succession en ligne féminine. Chez les Shawnes, les Miamies et les Delawares s’est implantée la coutume de faire passer les enfants dans la gens paternelle en leur donnant un nom gentilice qui appartient à celle-ci, afin qu’ils puissent hériter de leur père. « Casuistique innée qui pousse l’homme à changer les choses en changeant leur nom 1 Et à trouver le biais qui permette, en restant dans la tradition, de rompre la tradition, quand un intérêt direct donnait l’impulsion suffisante! » (Marx).

Il en résulta un brouillamini inextricable, auquel on ne put remédier, et auquel on ne remédia, en partie, que par le passage au droit paternel. « Ceci parait, somme toute, la transition la plus naturelle. » (Marx) [Quant à ce que peuvent nous dire les spécialistes de droit, comparé sur la façon dont cette transition s’accomplit chez les peuples civilisés du vieux monde, — et à la vérité, cela se réduit à des hypothèses —, voir M. KOVALEVSKI : Tableau des origines et de l’évolution de la famille et de la Propriété, Stockholm, 1890.

Le renversement du droit maternel fut la grande défaite historique du sexe féminin. Même à la maison, ce fut l’homme qui prit en main le gouvernail ; la femme fut dégradée, asservie, elle devint esclave du plaisir de l’homme et simple instrument de reproduction. Cette condition avilie de la femme, telle qu’elle apparaît notamment chez les Grecs de l’époque héroïque, et plus encore de l’époque classique, on la farde graduellement, on la pare de faux semblants, on la revêt parfois de formes adoucies ; mais elle n’est point du tout supprimée.