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chez des peuples malais, chez des insulaires de l’Océanie et chez beaucoup d’Indiens américains, — les filles jouissent jusqu’à leur mariage de la plus grande liberté sexuelle. En particulier, c’est le cas presque partout en Amérique du Sud, ce dont peut témoigner tout voyageur qui a pénétré quelque peu à l’intérieur des terres. C’est ainsi qu’Agassiz (À journey in Brazil, Boston and New York, 1868, p. 266) nous relate ce qui suit : ayant fait la connais­sance de la fille de la maison, dans une riche famille d’origine indien­ne, il s’enquit du père, convaincu que ce devait être le mari de la mère, lequel, en sa qualité d’officier, prenait part à la guerre contre le Paraguay ; mais la mère répondit en souriant : Nad tem pai, he filha da fortuna ; elle n’a pas de père, c’est une enfant du hasard.

« Des femmes indiennes ou de sang mêlé parlent constamment de cette façon, sans honte ni reproche, de leurs enfants illégitimes ; et ceci est fort loin d’être extraordinaire, c’est plutôt le contraire qui serait l’exception. Les enfants... ne connaissent souvent que leur mère, car c’est à elle qu’incombent tout le souci et toute là responsabilité ; ils ne savent rien de leur père ; il semble d’ailleurs que jamais la femme ne s’avise qu’elle ou ses enfants puissent avoir quelque droit sur lui. »

Ce qui paraît étrange, au civilisé, c’est ici, tout simplement, la règle selon le droit maternel et dans le mariage par groupe.

Chez d’autres peuples encore, les amis et les parents du fiancé, ou les convives de la noce, exercent pendant la noce même leur droit traditionnel sur la fiancée et le tour du fiancé ne vient qu’en dernier lieu ; il en était ainsi aux Baléares et chez les Augiles africains dans l’antiquité, et c’est encore le cas, de nos jours, chez les Bareas d’Abyssinie. Ailleurs encore, un personnage officiel, chef de la tribu ou de la gens, cacique, chaman, prêtre, prince, ou quel que soit son titre, représente la collectivité et exerce sur la fiancée le droit de première nuit. Malgré toutes les tentatives des néo-romantiques pour le blanchir, ce jus primae noctis subsiste encore de nos jours, comme vestige du mariage par groupe, chez la plupart des habitants de l’Alaska (BANCROFT : Native Races, I, p. 81), chez les Tahus du nord du Mexi­que (ibid., p. 584) et chez d’autres peuples ; il a existé durant tout le Moyen Age au moins dans les pays d’origine celtique, en Aragon par exemple, où il est directement sorti du maria­ge par groupe. Tandis qu’en Castille le paysan