Page:Karl Marx et Friedrich Engels - Œuvres choisies en deux volumes, tome II, 1955.djvu/210

Cette page n’a pas encore été corrigée

Morgan, reconstituant ainsi l’histoire de la famille, remonte, en accord avec la plupart de ses collègues, jusqu’à un état de choses primitif où des rapports sexuels sans entraves régnaient à l’intérieur d’une tribu, si bien que chaque femme appartenait également à chaque homme, et chaque homme à chaque femme. Dès le siècle dernier, il avait été question de cet état de choses primitif, mais seulement en termes généraux ; le premier, Bachofen — et c’est là un de ses grands mérites — le prit au sérieux et en chercha les traces dans les traditions histo­riques et religieuses. Nous savons aujourd’hui que ces traces qu’il a trouvées ne ramènent nullement à un stade social de rapports sexuels sans entraves, — mais à une forme de beaucoup postérieure, le mariage par groupe. Quant à l’autre stade social primitif, en supposant qu’il ait vraiment existé, il appartient à une époque si reculée que nous ne pouvons guère nous attendre à trouver chez des fossiles sociaux, chez des sauvages arriérés, des preuves directes de son ancienne existence. Le mérite de Bachofen, c’est précisément d’avoir placé cette ques­tion au premier plan de la recherche.

Dans ces derniers temps, la mode s’est établie de nier ce stade initial de la vie sexuelle humaine. On veut épargner cette « honte » à l’humanité. Aussi l’on insiste sur l’absence de toute preuve directe, et par ailleurs on fait essentiellement appel à l’exemple du reste du règne animal ; c’est là que Letourneau (Évolution du mariage et de la famille, 1888) a recueilli de nombreux faits selon lesquels des rapports sexuels dépourvus de toute règle appartiendraient, là aussi, à un degré inférieur. Mais de tous ces faits, la seule conclusion que je puisse tirer, c’est qu’ils ne prouvent rigoureusement rien pour l’homme et ses