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de Rousseau. Indiquons ici, brièvement, l’essentiel des deux méthodes.

Lorsque nous soumettons à l’examen de la pensée la nature ou l’histoire humaine ou notre propre activité mentale, ce qui s’offre d’abord à nous, c’est le tableau d’un enchevêtrement infini de relations et d’actions réciproques où rien ne reste ce qu’il était, là où il était et comme il était, mais où tout se meut, change, devient et périt. Nous voyons donc d’abord le tableau d’ensemble, dans lequel les détails s’effacent encore plus ou moins ; nous prêtons plus d’attention au mouvement, aux passages de l’un à l’autre, aux enchaînements qu’à ce qui se meut, passe et s’enchaîne. Cette manière primitive, naïve, mais correcte quant au fond, d’envisager le monde est celle des philosophes grecs de l’antiquité, et le premier à la formuler clairement fut Héraclite : Tout est et n’est pas car tout est fluent, tout est sans cesse en train de se transformer, de devenir et de périr. Mais cette manière de voir, si correctement qu’elle saisisse le caractère général du tableau que présente l’ensemble des phénomènes, ne suffit pourtant pas à expliquer les détails dont ce tableau d’ensemble se compose ; et tant que nous ne sommes pas capables de les expliquer, nous n’avons pas non plus une idée nette du tableau d’ensemble. Pour connaître ces détails, nous sommes obligés de les détacher de leur enchaînement naturel ou historique et de les étudier individuellement dans leurs qualités, leurs causes et leurs effets particuliers, etc.. C’est au premier chef la tâche des sciences de la nature et de la recherche historique, branches d’investigation qui, pour d’excellentes raisons, ne prenaient chez les Grecs de la période classique qu’une place subordonnée puisque les Grecs avaient auparavant à rassembler les matériaux. Il faut d’abord avoir réuni, jusqu’à un certain point, des données naturelles et historiques pour pouvoir passer au dépouillement critique, à la comparaison ou à la division en classes, ordres et genres. Les rudiments de l’étude exacte de la nature ne sont donc développés que par les Grecs de la période alexandrine, et plus