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trouble et s’enrichir rapidement. Il y vit l’occasion d’appliquer sa thèse favorite et de mettre par là de l’ordre dans le chaos. Il s’y était déjà essayé avec succès à Manchester, comme dirigeant des 500 ouvriers d’une fabrique ; de 1800 à 1829, il régit comme associé gérant la grande filature de coton de New Lanark en Écosse et il le fit dans le même esprit, mais avec une plus grande liberté d’action et un succès qui lui valut une réputation européenne. Une population qui monta peu à peu jusqu’à 2500 âmes et se composait à l’origine des éléments les plus mêlés, pour la plupart fortement démoralisés, fut transformée par lui en une parfaite colonie modèle où ivrognerie, police, justice pénale, procès, assistance publique et besoin de charité étaient choses inconnues. Et cela tout simplement en plaçant les gens dans des circonstances plus dignes de l’homme, et surtout en faisant donner une éducation soignée à la génération grandissante. Il fut l’inventeur des écoles maternelles et le premier à les introduire. Dès l’âge de deux ans, les enfants allaient à l’école, où ils s’amusaient tellement qu’on avait peine à les ramener à la maison. Tandis que ses concurrents faisaient travailler de treize à quatorze heures par jour, on ne travaillait à New Lanark que dix heures et demie. Lorsqu’une crise cotonnerie arrêta le travail pendant quatre mois, les ouvriers chômeurs continuèrent à toucher leur salaire entier. Ce qui n’empêcha pas l’établissement d’augmenter en valeur de plus du double et de donner jusqu’au bout de gros bénéfices aux propriétaires.

Mais tout cela ne satisfait pas Owen l’existence qu’il avait faite à ses ouvriers était, à ses yeux, loin encore d’être digne de l’homme ; « les gens étaient mes esclaves » : les circonstances relativement favorables dans lesquelles il les avait placés, étaient encore loin de permettre un développement complet et rationnel du caractère et de l’intelligence, et encore moins une libre activité vitale.

« Et, pourtant, la partie laborieuse de ces 2500 hommes produisait autant de richesse réelle pour la société qu’à peine un demi siècle auparavant une population de 600 000 âmes pouvait en produire. Je me demandais : qu’advient il de la différence entre la richesse consommée par 2500 personnes et celle qu’il aurait fallu pour la consommation des 600 000 ? »

La réponse était claire. La richesse avait été employée à assurer aux propriétaires de l’établissement 5 % d’intérêt sur leur mise de fonds et, en outre, un bénéfice de plus de 300 000