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cercle. Dans ses Lettres à Émile Regnault, Aurore raconte comment naquit cet amour, comment ils se voyaient souvent dans le petit bois entre Nohant et le château d’Ars et comment Jules devina le sentiment qu’elle lui portait avant qu’elle s’en rendit compte elle-même. Naïvement et candidement, elle dit, qu’en apercevant au salon un tas de chapeaux gris à peu près les mêmes, elle s’empressait de reconnaître au « lacet rouge » qui distinguait le chapeau de Jules, si Jules était là, sans s’avouer qu’elle l’attendait.

En arrivant à Paris, Aurore y retrouva la même société de jeunes Berrichons. Jouissant d’une pleine liberté, elle voulut plus que jamais se mettre avec eux sur le pied de l’égalité, secouer tout préjugé, toute chaîne qui l’empêchât de partager en camarade l’existence de ses amis, adonnée aux intérêts les plus brûlants, aux projets les plus hardis. Elle eut tout d’abord à « liquider » son passé, à quitter ses anciennes liaisons mondaines, pour commencer une vie nouvelle et se faire un avenir à sa guise. Elle commença par rompre avec ceux de ses parents et amies, qui auraient désapprouvé sa démarche, qui auraient jeté le haro et se seraient éloignés d’elle en apprenant qu’elle avait quitté le toit conjugal. Elle alla donc au couvent faire ses adieux à ses Sœurs bien-aimées, puis elle fit une visite aux demoiselles Bazouin, alors mariées et devenues comtesses, et à quelques autres de ses amies du grand monde. Elle ne leur révéla rien. Elle leur promit même de revenir, quoiqu’elle sût parfaitement qu’elle les voyait pour la dernière fois, que le temps viendrait bientôt, où, malgré leur attachement, elles n’oseraient plus la recevoir, et, à leur corps défendant, se détourneraient d’elle comme d’une femme qui avait foulé aux pieds toutes les règles de la morale. Elle revit