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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

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PREMIÈRE PARTIE

DE LA COEXISTENCE DU MAUVAIS PRINCIPE AVEC LE BON, OU DU MAL RADICAL DANS LA NATURE HUMAINE

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Le monde va de mal en pire : telle est la plainte qui s’élève de toute part, aussi vieille que l’histoire, aussi vieille même que la poésie antérieure à l’histoire, aussi vieille enfin que la plus vieille de toutes les légendes poétiques, la religion des prêtres. Toutes ces légendes pourtant font commencer le monde par le bien : elles parlent d’un âge d’or, de la vie dans le paradis, ou d’une vie encore plus heureuse dans la société des êtres célestes. Mais ce bonheur, elles le font bientôt évanouir comme un songe et ont hâte de nous dépeindre la chute dans le mal (le mal moral, avec lequel marche toujours de pair le mal physique) où le monde s’enfonce, à notre grand dépit, d’un mouvement accéléré[1] ; si bien que maintenant (et c’est un maintenant aussi vieux que l’histoire) nous vivons dans les temps suprêmes, le dernier jour et la fin du monde sont à nos

  1. Ætas parentum, pejor avis, tulit
    Nos nequiores, mox daturos
    Progeniem vitiosiorem.(Horace.)

Kant. — Religion. 2