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DU VRAI CULTE ET DU FAUX CULTE

avenu (l’expiation), par la crainte relative à l’appropriation de cette expiation, par la représentation de son impuissance totale en ce qui concerne le bien et par l’appréhension angoissante d’une rechute dans le mal, toutes choses qui doivent le jeter dans un état déplorable de passivité morale où il n’entreprend rien ni de grand, ni de bon, mais attend tout de son désir. — Pour ce qui touche au sentiment moral, tout dépend du concept suprême auquel on subordonne ses devoirs. Si le culte (Verehrung) rendu à Dieu occupe la première place et se subordonne donc la vertu, il a pour objet une idole, c’est-à-dire que Dieu est alors conçu comme un Être auquel nous ne saurions avoir l’espoir de nous rendre agréables par une conduite morale, la meilleure qui soit au monde, mais qu’il faut adorer et flatter pour lui plaire : et la religion, en ce cas, est de l’idolâtrie. La piété n’est donc pas l’équivalent de la vertu et ne peut pas en tenir lieu ; elle en

    siblement, un caractère dont ils portent, même extérieurement, la marque dans les relations sociales et qui leur est, par suite, attribué comme s’il était, somme toute, la qualité de leur tempérament. C’est ainsi que le Judaïsme, dans son institution première, qui obligeait les Juifs, de toutes les manières et, en partie, par des observances pénales à s’isoler de tous les autres peuples et à ne pas avoir de mélange avec eux, se vit accuser de misanthropie. Le mahométisme se distingue par sa fierté, car ce n’est pas à des miracles, mais bien à des victoires et aux peuples nombreux qu’il a mis sous le joug qu’il a dû de trouver la confirmation de sa foi ; toutes ses pratiques pieuses sont d’une espèce courageuse(a). La croyance hindoue donne à ses

    (a) [Ce remarquable phénomène (de la fierté qu’inspire sa croyance à un peuple ignorant, bien qu’intelligent) peut avoir sa source dans l’opinion qu’avait de lui-même le fondateur de la religion en question, s’imaginant que seul il avait retrouvé et rapporté au monde l’idée de l’unité de Dieu et de sa nature suprasensible ; assurément il y aurait là pour ce peuple un ennoblissement ayant pour motif son affranchissement de l’adoration des images et de l’anarchie du polythéisme, si le fondateur de sa religion pouvait s’attribuer à bon droit ce mérite. ― Au sujet du trait distinctif de la troisième classe religieuse, fondée sur l’humilité mal comprise, je ferai remarquer que, si la considération de la sainteté de la loi rabaisse l’orgueil des humains dans l’appréciation de leur valeur morale, nous devons pourtant nous garder d’en arriver au mépris de nous-mémos et prendre, au contraire, la résolution de nous rapprocher toujours davantage de la sainteté absolue, conformément aux dispositions nobles qui sont en noue ; au lieu d’agir ainsi, les dévots de cette catégorie repoussent

Kant. — Religion. 15