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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

raison ne nous laisse pas tout à fait sans consolation. Quiconque, nous dit-elle, inspiré par le vrai sentiment du devoir et de la soumission au devoir, fait tout son possible pour s’acquitter de ses obligations (en s’approchant au moins de plus en plus de la conformité parfaite avec la loi) peut espérer qu’à ce qui dépasse ses forces la sagesse suprême suppléera de quelque manière (capable de rendre immuable l’intention de cette progression constante) ; mais elle ne se flatte pas de pouvoir en déterminer le mode, ni de savoir en quoi consiste une pareille assistance divine qui est peut-être entourée de tant de mystère que Dieu, pour nous la révéler, pourrait tout au plus nous en faire avoir une représentation symbolique, dont le côté pratique nous serait seul intelligible et où nous ne pourrions pas voir spéculativement ce qu’est en soi ce rapport de Dieu à l’homme, ni l’exprimer par des concepts, alors même que Dieu voudrait nous dévoiler un tel mystère. ― Supposons maintenant qu’une certaine Église affirme qu’elle sait, d’une façon précise, la manière dont Dieu supplée à l’imperfection morale du genre humain et qu’elle voue, en même temps, à la damnation éternelle tous les hommes qui, n’ayant point connaissance de ce moyen de justification naturellement inconnu à la raison, n’en font pas un principe fondamental de religion et ne le proclament point comme tel ; quel serait en ce cas l’homme de peu de foi ? celui qui garderait sa confiance en Dieu, sans savoir de quelle manière se produira ce qu’il espère, ou celui qui voudrait connaître exactement comment l’homme sera délivré du mal pour ne pas rejeter tout espoir de salut ? ― Au fond, ce dernier se rend compte qu’il n’a pas un grand intérêt à la connaissance de ce mystère (car sa raison lui enseigne déjà que savoir quelque chose, sans y contribuer en rien, n’offre pour lui aucune utilité) ; mais s’il veut le savoir, c’est seulement afin de pouvoir (ne serait-ce qu’en son for intérieur) faire de la foi qu’il professe à l’égard de tout cet objet de la révélation par lui