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DE LA DOCTRINE DE LA VERTU.


naturelle et plus juste. Et pourtant on ne peut nier que tout homme n’ait le devoir d’être bienfaisant, c’est-à-dire d’aider et de soulager ceux qui souffrent dans la mesure de ses moyens. Il n’est pas d’ailleurs bien difficile de trouver dans la raison le principe de ce devoir 1[1]. N’est-il pas vrai en effet que quiconque se trouve dans le besoin souhaite nécessairement d’être secouru par les autres ? N’est-il pas vrai en outre que, si l’on se faisait une maxime de ne jamais secourir les autres, il serait absurde de compter soi-même sur leur assistance en cas de besoin ? N’est-il pas vrai par conséquent qu’une pareille maxime se contredirait elle-même, et qu’on ne saurait l’ériger en loi universelle ? Elle est donc contraire au devoir, et celle au contraire qui veut qu’on fasse du bien à ceux qui sont dans le besoin est un devoir pour tous les hommes. N’ont-ils pas été réunis dans une même demeure pour s’aider réciproquement ? Mais la pratique de la bienfaisance demande des précautions particulières. Quoiqu’elle soit un devoir méritoire pour celui qui en est l’objet, elle ne doit pas avoir ce caractère pour celui qui l’exerce. Il ne faut pas que le bienfaiteur fasse sentir l’obligation qu’il impose ; il doit au contraire se montrer lui-même obligé et comme honoré par l’acceptation de ses bienfaits, et avoir plutôt l’air de payer une dette que de rendre un service. Ce qui vaut mieux encore, c’est de trouver moyen de pratiquer la bienfaisance en secret. Si celui qui veille ainsi au soulagement des maux d’autrui n’a lui-même que des moyens fort restreints, alors la vertu atteint son plus haut degré. La bienfaisance n’est pas seulement la vertu du riche, elle est aussi la richesse du pauvre.

On vient de voir combien Kant, en prêchant la bienfaisance, se préoccupe de la dignité humaine. Ce sentiment ne se montre pas d’une manière moins éclatante dans les ques tions casuistiques qu’il élève à ce sujet 2[2].

Questions casuistique.

« Jusqu’à quel point faut-il consacrer ses moyens à la bienfaisance ? — Ce ne doit pas être au moins jusqu’au point de finir par avoir besoin soi-même de celle des autres… »

« Celui qui se sert du pouvoir que lui accorde la loi du pays, pour enlever à quelqu’un, par exemple à un serf de la

  1. 1 §§ 29-31, p. 126-130.
  2. 2 P. 129.