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CRITIQUE DU JUGEMENT TÉLÉOLOGIQUE.

prétendre mêler le moins du monde à nos principes de connaissance quelque chose qui n’appartient pas à la physique, à savoir une cause supranaturelle, tout en parlant de la nature, dans la téléologie, comme si la finalité y était intentionnelle, on en parle aussi comme si on attribuait cette intention à la nature, c’est-à-dire à la matière. Or on veut montrer par là (car là-dessus il ne peut y avoir de malentendu, puisqu’il est impossible en soi d’attribuer de l’intention, dans le sens propre du mot, à une matière inanimée) que ce mot n’exprime ici qu’un principe du Jugement réfléchissant, et non du Jugement déterminant, et que, par conséquent, il ne désigne pas un principe particulier de causalité, quoiqu’il ajoute à l’usage de la raison une autre espèce d’investigation, que celle qui se fonde sur des lois mécaniques, afin de suppléer à l’insuffisance de ces lois, dans la recherche empirique de toutes les lois particulières de la nature. On parle donc avec raison, dans la téléologie, en tant qu’elle se rapporte à la physique, de la sagesse, de l’économie, de la prévoyance, de la bienfaisance de la nature, sans en faire pour cela un être intelligent (ce qui serait absurde), mais aussi sans se hasarder à placer au-dessus d’elle, comme l'ouvrier de la nature, un autre être intelligent, car cela serait téméraire[1]. On ne fait que désigner une espèce de causalité de la na-

  1. Le mot allemand vermessen est un mot excellent et plein de sens. Un jugement, dans lequel on oublie la portée de ses facultés (de l’entendement), peut quelquefois paraître très humble, et cependant élever de grandes prétentions et mériter cette épithète. Tels sont la plupart des jugements par lesquels on prétend relever la sagesse divine, en lui prêtant, dans les œuvres de la création et dans la conservation de ces œuvres, des vues qui ne doivent véritablement faire honneur qu’à la sagesse de celui qui juge ainsi.