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DE L’INTÉRÈT DE LA RAISON


à la pensée et qu’elles tiennent pour connu ce qu’un usage fréquent leur a rendu familier. Enfin tout intérêt spéculatif s’évanouit pour elles devant l’intérêt pratique, et elles s’imaginent apercevoir et savoir ce que leurs craintes ou leurs espérances les poussent à admettre ou à croire. Ainsi l’empirisme qui frappe la raison dans son idéalisation transcendentale 1[1] est dépourvu de toute popularité ; et, quelque nuisible qu’il puisse être d’ailleurs aux premiers principes pratiques, il n’y a pas à craindre qu’il sorte jamais de l’enceinte des écoles et qu’il obtienne dans le monde quelque autorité et se concilie la faveur de la multitude.

La raison humaine est de sa nature architectonique, c’est-à-dire qu’elle envisage toutes les connaissances comme appartenant à un système possible, et que par conséquent elle ne permet que des principes qui n’empêchent pas du moins une connaissance donnée de s’accorder dans un système avec d’autres. Mais les propositions de l’antithèse sont de telle nature qu’elles rendent tout à fait impossible l’accomplissement d’un système de connaissances. Suivant elles, il y a toujours au-dessus d’un état du monde un autre plus ancien encore ; dans chaque partie il y en a toujours d’autres, qui sont divisibles à leur tour ; avant chaque événement il y en avait un autre, qui à son tour avait été produit par un plus ancien ; enfin dans l’existence en général tout est toujours conditionnel, sans qu’on puisse reconnaître quelque part un être absolu et premier. Puis donc que l’antithèse n’admet nulle part un premier terme et un commencement qui puisse absolument servir de fondement à l’édi-

  1. 1 Der Empirismus der transcendental-idealisirenden Vernunft.