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DE L’INTÉRÈT DE LA RAISON


et s’il nie avec assurance ce qui est au-dessus de la sphère de ses connaissances intuitives, il tombe alors a son tour dans une intempérance d’esprit qui est d’autant plus blâmable que l’intérêt pratique de la raison en reçoit un irréparable dommage.

Telle est l’opposition entre l’Epicurisme *[1] et le Platonisme.

Chacun d’eux dit plus qu’il ne sait. Le premier encourage et aide le savoir, mais au préjudice de l’intérêt pratique ; le second fournit des principes excellents au point de vue de cet intérêt, mais par la même, en matière de savoir purement spéculatif, il nous autorise à nous attacher à des explications idéalistes des phénomènes naturels et à négliger à leur endroit l’investigation physique.

Pour ce qui est enfin du troisième moment que l’on peut envisager dans le choix à faire provisoirement entre les deux parties opposées, il y a une chose tout à fait

  1. * C’est cependant encore une question de savoir si Épicure a jamais présenté ces principes comme des assertions objectives. Si par hasard ils n’avaient été pour lui que des maximes de l’usage spéculatif de la raison, il aurait montré en cela un esprit plus véritablement philosophique qu’aucun des philosophes de l’antiquité. Que dans l’explication des phénomènes il faille procéder comme si notre champ d’investigation n’était limité par aucune borne ni par aucun commencement du monde ; qu’il faille admettre la matière du monde dans le sens où nous devons le faire, quand nous voulons en être instruits par l’expérience ; que l’on ne doive invoquer d’autre origine des événements que celle qui est déterminée par les lois immuables de la nature ; enfin que l’on ne doive recourir à aucune cause distincte du monde ; ce sont là, aujourd’hui encore, des principes très-justes, quoique très-peu observés, qui nous permettent d’étendre la philosophie spéculative, et en même temps de découvrir les principes de la morale indépendamment de tout secours étranger, sans que celui qui veut ignorer ces principes dogmatiques, tant qu’il ne s’agit que de pure spéculation, puisse être accusé de les vouloir nier.