Page:Kant - Critique de la raison pure, II.djvu/95

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
82
DIALECTIQUE TRANSCENDENTALE


qu’elle est la seule chose qui nous fournisse des objets et nous instruise de ses lois.

Reconnaissons-le : si le philosophe empirique, en posant son antithèse, n’avait d’autre but que de rabattre l’indiscrète curiosité et la présomption de la raison, qui méconnaît sa véritable destination, s’enorgueillit de sa pénétration et de son savoir, là où il n’y a plus proprement ni pénétration ni savoir, et prétend donner pour la satisfaction d’un intérêt spéculatif ce qui n’a de valeur qu’au point de vue de l’intérêt pratique, afin de pouvoir rompre, dès que cela lui convient, le fil des recherches physiques, et, sous prétexte d’étendre la connaissance, de rattacher ce fil à des idées transcendantes, dont on ne connaît proprement autre chose sinon qu’on n’en sait rien ; si, dis-je, l’empirique se bornait là, son principe serait une maxime qui nous recommanderait la modération dans nos prétentions et la réserve dans nos assertions, et qui en même temps nous inviterait à étendre le plus possible notre entendement à l’aide du seul maître que nous ayons proprement, l’expérience. En effet, dans ce cas, il ne nous serait pas interdit de nous livrer, en vue de notre intérêt pratique, à certaines suppositions intellectuelles et d’admettre certaines croyances ; seulement on ne pourrait pas les présenter sous le titre pompeux de science et de vues rationnelles, puisque le savoir proprement spéculatif ne peut avoir d’autre objet que celui de l’expérience, et que, si l’on en transgresse les limites, la synthèse, qui cherche des connaissances nouvelles et indépendantes de l’expérience, n’a aucun substratum d’intuition où elle puisse s’appliquer.

Mais, si l’empirisme devient lui-même dogmatique par rapport aux idées (comme il arrive ordinairement),