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DE L’INTÉRÈT DE LA RAISON


parce que, étant des choses de pensée 1[1], ils ne peuvent jamais être donnés ; mais il ne lui est même pas permis de quitter son œuvre, et, sous prétexte qu’elle est achevée, de passer dans le domaine de la raison idéalisante. Il ne lui est donc pas permis de s’élever à des concepts transcendentaux, où il n’aurait plus besoin d’observer et de suivre le fil des lois de la nature, mais où il n’aurait plus qu’à penser et à inventer, sûr de n’être jamais contredit par les faits de la nature, puisqu’il ne dépendrait point de leur témoignage, et qu’il aurait le droit de n’en pas tenir compte ou même de le soumettre à une autorité supérieure, je veux dire à celle de la raison pure.

L’empirique 2[2] ne permettra donc jamais de regarder aucune époque de la nature comme la première absolument, ni aucune limite imposée à sa vue dans l’étendue de la nature comme la dernière. Il ne permettra pas non plus de passer des objets de la nature, que l’on peut analyser par l’observation et les mathématiques et de terminer synthétiquement dans l’intuition (des objets étendus) à ceux que ni les sens ni l’imagination ne sauraient jamais exhiber (in concreto). Il ne permettra pas davantage de prendre pour fondement, même dans la nature, une puissance capable d’agir indépendamment des lois de la nature (la liberté), et d’abréger ainsi la tache de l’entendement, qui est de remonter à l’origine des phénomènes suivant le fil de lois nécessaires. Il ne permettra pas enfin de chercher en dehors de la nature la cause première de quoi que ce soit (un être premier), puisque nous ne connaissons rien autre chose qu’elle, et

  1. 1 Gedankendinge.
  2. 2 Der Empirist.

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