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DE L’INTÉRÈT DE LA RAISON


la religion. L’antithèse nous enlève ou semble du moins nous enlever tous ces appuis.

En second lieu, il y a aussi de ce côté un intérêt spéculatif pour la raison. En effet, en admettant et en employant de cette manière les idées transcendentales, on peut embrasser tout à fait à priori la chaîne entière des conditions et comprendre la dérivation du conditionnel, puisque l’on part de l’inconditionnel. Or cet avantage ne se trouve pas dans l’antithèse : c’est pour celle-ci une mauvaise recommandation, que de ne pouvoir donner aucune réponse aux questions qui s’élèvent sur les conditions de sa synthèse et que l’on ne peut pas toujours poser sans fin. Suivant elle, il faut s’élever d’un commencement donné à un commencement antérieur, chaque partie conduit à une partie encore plus petite, chaque événement a toujours pour cause un autre événement au-dessus de lui, et les conditions de l’existence en général s’appuient toujours sur d’autres, sans jamais trouver un point d’appui absolu dans une chose existant par elle-même comme être premier.

En troisième lieu, ce côté a aussi l’avantage de la popularité, qui n’est certainement pas son moindre titre de recommandation. Le commun des intelligences ne trouve pas la moindre difficulté dans les idées du commencement absolu de toute synthèse ; car elles sont d’ailleurs plus accoutumées à descendre aux conséquences qu’à remonter aux principes, et le concept d’un être absolument premier (dont elles ne sondent pas la possibilité) leur semble commode, en leur fournissant un point ferme où elles peuvent attacher le fil qui doit diriger leurs pas, tandis qu’au contraire, en remontant toujours du conditionnel à la condition, elles ont toujours en quelque sorte