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DIALECTIQUE TRANSCENDENTALE


leur éclat que grâce à cette liaison. Mais dans cette application et dans l’extension croissante de l’usage de la raison, la philosophie, en partant du champ de l’expérience et en s’élevant insensiblement jusqu’à ces idées sublimes, montre une telle dignité, que, si elle pouvait soutenir ses prétentions, elle laisserait bien loin derrière elle toutes les autres sciences humaines, puisqu’elle promet d’assurer les fondements sur lesquels reposent nos plus hautes espérances, et de nous donner des lumières sur les fins dernières, vers lesquelles doivent converger en définitive tous les efforts de la raison. Le monde a-t-il un commencement, et y a-t-il quelque limite à son étendue dans l’espace ? Y a-t-il quelque part, peut-être dans le moi pensant, une unité indivisible et impérissable, ou n’y a-t-il rien que de divisible et de passager ? Suis-je libre dans mes actions, ou, comme les autres êtres, suis-je conduit par le fil de la nature et du destin ? Y a-t-il enfin une cause suprême du monde, ou les choses de la nature et leur ordre forment-ils le dernier objet où nous devions nous arrêter dans toutes nos recherches ? Ce sont là des questions pour la solution desquelles le mathématicien donnerait volontiers toute sa science ; car celle-ci ne saurait satisfaire en lui le besoin le plus important, celui de connaître la fin suprême de l’humanité. La dignité même qui est propre aux mathématiques (cet orgueil de la raison humaine) vient de ce qu’elles fournissent à la raison un guide qui lui permet de pénétrer la nature : en grand aussi bien qu’en petit, dans l’ordre et la régularité qui y règnent, ainsi que dans la merveilleuse unité des forces qui la meuvent, bien au delà de tout ce que peut attendre une philosophie qui bâtit sur l’expérience vulgaire, et de ce qu’elles, font naître et