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DIALECTIQUE TRANSCENDENTALE


conclut en effet des changements qui arrivent dans le monde à sa contingence empirique, c’est-à-dire à sa dépendance à l’égard de causes empiriquement déterminantes, et l’on obtint une série ascendante de conditions empiriques, qui était d’ailleurs tout à fait juste. Mais, comme on n’y pouvait trouver de premier commencement ni de membre suprême, on abandonna tout à coup le concept empirique de la contingence, et l’on prit la catégorie pure : celle-ci fournit une série purement intelligible, dont l’intégrité reposait sur l’existence d’une cause absolument nécessaire, qui, n’étant désormais liée à aucune condition sensible, était affranchie aussi de la condition chronologique de commencer elle-même sa causalité. Mais cette manière de procéder est tout à fait illégitime, comme on peut le conclure de ce qui suit.

Le contingent, dans le sens pur de la catégorie, est ce dont l’opposé contradictoire est possible. Or on ne saurait nullement conclure de la contingence empirique à cette contingence intelligible. Le contraire de ce qui change (de son état) est réel en un autre temps, et, par conséquent aussi, possible ; il

sité absolue. Cependant la conclusion dans les deux cas est tout à fait conforme à la raison commune : aussi arrive-t-il souvent à celle-ci de se mettre en désaccord avec elle-même, lorsqu’elle envisage son objet de deux points de vue différents. Une difficulté analogue sur le choix du point de vue ayant donné lieu à une dispute entre deux célèbres astronomes, M. de Mairan regarda cette dispute comme un phénomène assez remarquable pour en faire l’objet d’un traité particulier. L’un raisonnait ainsi : la lune tourne autour de son axe, parce qu’elle montre ton· jours le même côté à la terre ; l’autre disait : la lune ne tourne pas autour de son axe, précisément parce qu’elle montre toujours le même côté à la terre. Les deux conclusions étaient justes, suivant que l’on choisissait tel ou tel point de vue pour observer le mouvement de la lune.