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DIALECTIQUE TRANSCENDENTALE


le rapport de la causalité, diverses séries de phénomènes dans le cours du monde, et d’attribuer à leurs substances la faculté d’agir en vertu de la liberté. Il ne faut pas se laisser arrêter ici par ce malentendu, à savoir que, comme une série successive ne peut avoir dans le monde qu’un commencement relativement premier, puisqu’il y a toujours dans le monde un état antérieur des choses, il ne peut y avoir de commencement absolument premier des séries dans le cours du monde. En effet nous ne parlons pas ici du commencement absolument premier quant au temps, mais quant à la causalité. Si (par exemple) je me lève maintenant de mon siège tout à fait librement et sans subir l’influence nécessairement déterminante des causes naturelles, alors avec cet événement et tous les effets naturels qui en dérivent à l’infini commence absolument une nouvelle série, bien que, par rapport au temps, cet événement ne soit que la continuation d’une série précédente. Cette résolution et cet acte ne sont donc pas une simple conséquence de l’action de la nature, mais les causes naturelles déterminantes qui ont précédé cet événement cessent tout à fait par rapport reconnaîtrait une puissance transcendentale de liberté, qui servirait de point de départ aux changements du monde, du moins cette puissance ne pourrait être qu’en dehors du monde (quoique ce soit toujours une prétention bien téméraire que celle d’admettre, en dehors de l’ensemble de toutes les intuitions possibles, un objet qui ne peut être donné dans aucune intuition possible). Mais il ne peut jamais être permis d’attribuer une pareille faculté aux substances qui existent dans le monde même, puisqu’alors disparaîtrait en grande partie l’enchaînement des phénomènes qui se déterminent nécessairement les uns les autres suivant des lois universelles, et, avec cet enchaînement, que l’on désigne sous le nom de nature, la marque de la vérité empirique, qui distingue l’expérience du rêve-En effet, à côté d’une faculté affranchie de toutes lois comme la liberté, il n’y a plus guère de place pour la nature ; puisque les lois de celle-ci seraient incessamment modifiées par l’influence de celle-là, et que le jeu des phénomènes, au lieu d’être régulier et uniforme, comme il arriverait avec la seule nature, serait ainsi troublé et incohérent.