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ANTITHÉTIQUE DE LA RAISON PURE


l’unité de l’entendement dans les concepts de l’expérience, mais à celle de la raison dans de pures idées ; et, comme il faut pourtant que la condition de cette unité s’accorde d’abord avec l’entendement, comme synthèse opérée suivant des règles, et ensuite avec la raison, comme unité absolue de cette synthèse, si elle est adéquate à l’unité de la raison, elle sera trop grande pour l’entendement, et si elle est appropriée à l’entendement, elle sera trop petite pour la raison ; d’où résulte nécessairement un conflit, qu’il est impossible d’éviter, de quelque manière qu’on s’y prenne.

Ces assertions captieuses ouvrent donc une arène dialectique, où la victoire appartient au parti auquel il est permis de prendre l’offensive, et où celui qui est forcé de se défendre doit nécessairement succomber. Aussi des champions alertes, qu’ils combattent pour la bonne ou pour la mauvaise cause, sont-ils sûrs de remporter la couronne triomphale, s’ils ont soin de se ménager l’avantage de la dernière attaque, et s’ils ne sont pas obligés de soutenir un nouvel assaut de l’adversaire. On pense bien que cette arène a été souvent foulée jusqu’ici, qu’un grand nombre de victoires y ont été remportées de part et d’autre, mais que l’on a toujours pris soin de réserver la dernière, celle qui devait décider l’affaire, au chevalier de la bonne cause, en interdisant à son adversaire de prendre de nouveau les armes et en laissant ainsi le premier seul maître du champ de bataille. Juges impartiaux du combat, nous n’avons pas à chercher si c’est pour la bonne ou pour la mauvaise cause que luttent les combattants, et nous devons les laisser d’abord terminer entre eux leur affaire. Peut-être qu’après avoir épuisé leurs forces les uns contre les autres, sans s’être fait au-