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CRITIQUE DE LA RAISON PURE (Ire ÉDITION)

Cette fameuse question de l’union de ce qui pense et de ce qui est étendu reviendrait donc, si l’on en écartait tout ce qui est imaginaire, simplement à ceci : comment, dans un sujet pensant en général, une intuition extérieure est-elle possible, je veux dire l’intuition de l’espace (de ce qui le remplit, la figure et le mouvement) ? Mais à cette question il n’y a de réponse possible pour aucun homme, et l’on ne peut jamais remplir cette lacune de notre savoir, mais seulement indiquer par là que l’on attribue les phénomènes extérieurs à un objet transcendental, qui est la cause de cette espèce de représentation, mais que nous ne connaissons pas et dont nous ne saurions jamais avoir aucun concept. Dans tous les problèmes que peut présenter le champ de l’expérience, nous traitons ces phénomènes comme des objets en soi, sans nous soucier du premier principe de leur possibilité (comme phénomènes) ; mais, si nous en franchissons les limites, le concept d’un objet transcendental devient nécessaire.

De ces remarques sur l’union de l’être pensant et de l’être étendu dérive, comme une conséquence immédiate, la solution de toutes les difficultés et lie toutes les objections qui concernent l’état de la nature pensante avant cette union (avant la vie), ou après la rupture de cette union (dans la mort). L’opinion que le sujet pensant a pu penser antérieurement à toute union avec les corps reviendrait à dire qu’antérieurement à cette espèce de sensibilité par laquelle quelque chose nous apparaît dans l’espace, ces mêmes objets transcendentaux qui, dans l’état présent, apparaissent comme des corps, ont pu être perçus de toute autre matière. Quant à l’opinion que l’âme, après la rupture de tout commerce avec le monde temporel, peut continuer de penser, elle se traduirait de cette manière : si le mode de la sensibilité par lequel nous apparaissent des objets transcendentaux et, quant à présent, tout à fait inconnus en soi, venait à disparaître, toute intuition de ces objets ne serait pas pour cela supprimée, et il serait bien possible que ces mêmes objets continuassent d’être connus du sujet pensant, mais non plus en qualité de corps.

Or personne ne saurait tirer des principes spéculatifs la moindre raison en faveur de cette assertion : on n’en peut pas même démontrer la possibilité ; on ne peut que la supposer ; mais per-