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DES PARALOGISMES DE LA RAISON PURE


n’est pas ainsi troublé par une illusion inévitable. Aussi, en travaillant à délivrer la raison des théories sophistiques, atteindrons-nous difficilement ce degré de clarté qu’on exige pour être pleinement satisfait.

Je crois cependant pouvoir y arriver de la manière suivante.

Toutes les objections peuvent se diviser en dogmatiques, critiques et sceptiques. L’objection dogmatique est celle qui est dirigée contre une proposition ; l’objection critique, celle qui est dirigée contre la preuve d’une proposition. La première a besoin d’une connaissance directe de la nature de l’objet 1[1], afin de pouvoir affirmer le contraire de ce que la proposition met en avant touchant cet objet ; elle est donc elle-même dogmatique et prétend mieux connaître la nature de la chose dont il est question que la proposition contraire. L’objection critique, laissant de côté la valeur de la proposition et ne s’attaquant qu’à la preuve, n’a pas besoin de mieux connaître l’objet ou de s’en attribuer une meilleure connaissance ; elle montre seulement que l’assertion est sans fondement, et non pas qu’elle est fausse. L’objection sceptique oppose l’une à l’autre la proposition et la contre-proposition, comme des objections d’égale valeur, présentant chacune d’elles à son tour comme thèse et l’autre comme antithèse ; elle est ainsi en apparence dogmatique de deux côtés opposés, afin de réduire à néant tout jugement sur l’objet. L’objection dogmatique et l’objection sceptique doivent toutes deux s’attribuer autant de connaissance de leur objet qu’il est nécessaire pour en pouvoir affirmer ou nier quelque chose. L’objection critique est de telle nature qu’en se bornant à montrer qu’on invoque à l’appui de son assertion quelque chose qui est nul et purement imaginaire, elle ébranle la théorie, par cela seul qu’elle lui soustrait son prétendu fondement, sans vouloir d’ailleurs décider quelque chose sur la nature de l’objet.

Or nous sommes dogmatiques dans les concepts ordinaires de notre raison touchant le commerce de notre sujet pensant avec les choses extérieures, et nous les regardons comme de véritables objets existant indépendamment de nous, suivant un

  1. 1 Einer Einsicht in die Beschaffenheit der Natur des Gegenstandes.