Page:Kant - Critique de la raison pure, II.djvu/473

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
459
DES PARALOGISMES DE LA RAISON PURE


tique, à savoir celui de l’espace et d’un phénomène dans l’espace, tandis que le temps, qui est la seule forme de notre intuition interne, n’a rien de fixe, et par conséquent ne nous fait connaître que le changement des déterminations, mais non l’objet déterminable. En effet, dans ce que nous nommons l’âme tout est en un flux continuel, et il n’y a rien de fixe, si ce n’est peut-être (si on le veut absolument) le moi, qui n’est si simple que parce que cette représentation n’a point de contenu, par conséquent point de diversité, ce qui fait qu’elle semble aussi représenter, ou, pour mieux dire, désigner un objet simple. Il faudrait que ce moi fût une intuition, qui, étant présupposée dans la pensée en général (antérieurement à toute expérience), fournît comme intuition à priori des propositions synthétiques, pour qu’il fût possible d’établir une connaissance purement rationnelle de la nature d’un être pensant en général. Mais ce moi est aussi peu une intuition qu’un concept de quelque objet ; il n’est que la forme de la conscience qui peut accompagner les deux espèces de représentations et les élever par là au rang de connaissances, à condition que quelque autre chose encore soit donnée dans l’intuition qui fournisse une matière à la représentation d’un objet. Toute la psychologie rationnelle s’écroule donc comme une science qui dépasse toutes les forces de la raison humaine ; il ne nous reste qu’à étudier notre âme suivant le fil de l’expérience, et à nous renfermer dans les limites des questions qui ne vont pas au delà des données de l’expérience interne possible.

Mais, bien que la psychologie rationnelle n’offre aucune utilité quant à l’extension de la connaissance, et que comme telle elle ne soit composée que de purs paralogismes, on ne peut cependant lui refuser une grande utilité négative, quand on ne la considère que comme un examen critique de nos raisonnements dialectiques, même de ceux de la raison commune et naturelle.

Quel besoin avons-nous d’une psychologie fondée sur des principes purs de la raison ? C’est sans doute surtout afin de mettre notre moi pensant à l’abri du danger du matérialisme. Mais c’est ce que fait le concept rationnel de notre moi pensant, que nous avons donné. Tant s’en faut en effet qu’avec ce concept il reste la moindre crainte de voir s’évanouir, avec la suppression de la matière, toute pensée et l’existence même des êtres pensants,