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CRITIQUE DE LA RAISON PURE (Ire ÉDITION)


extérieure prouve immédiatement une réalité dans l’espace, lequel, bien qu’il ne soit qu’une simple forme des représentations, a cependant de la réalité objective par rapport à tous les phénomènes extérieurs (qui ne sont aussi que de simples représentations). Ajoutez à cela que sans la perception la fiction et le rêve mêmes ne seraient pas possibles, et que par conséquent, suivant les données d’où l’expérience peut résulter, nos sens extérieurs ont dans l’espace leurs objets réels correspondants.

On pourrait appeler idéaliste dogmatique celui qui nie l’existence de la matière, et idéaliste sceptique, celui qui la révoque en doute, parce qu’il la tient pour indémontrable. Le premier n’adopte cette doctrine que parce qu’il croit trouver des contradictions dans la possibilité d’une matière en général, et nous n’avons pas encore affaire à lui pour le moment. La section qui va suivre sur les raisonnements dialectiques, et qui représente la raison dans sa lutte intérieure touchant les concepts qu’elle se fait de la possibilité de ce qui appartient à l’enchaînement de l’expérience, lèvera aussi cette difficulté. Mais l’idéaliste sceptique, qui s’attaque au principe même de notre affirmation, et qui tient pour insuffisante notre persuasion de l’existence de la matière, que nous croyons fondé sur la perception immédiate, est un bienfaiteur de la raison humaine, en ce sens qu’il nous oblige à bien ouvrir les yeux jusque sur le plus petit pas de l’expérience commune, et à ne pas accepter tout de suite comme une possession bien acquise ce que nous n’avons peut-être obtenu que par surprise. L’utilité que nous procurent ici les objections de cet idéalisme saute maintenant aux yeux. Elles nous poussent avec force, si nous ne voulons pas nous égarer dans nos assertions les plus communes, à regarder toutes nos perceptions, qu’elles s’appellent intérieures ou extérieures, comme une simple conscience de ce qui appartient à notre sensibilité, et les objets extérieurs de ces perceptions, non comme des choses en soi, mais comme des représentations dont nous pouvons avoir immédiatement conscience ainsi que de toute autre représentation, mais qui s’appellent extérieures parce qu’elles appartiennent à ce sens que nous nommons le sens extérieur, dont l’intuition est l’espace, lequel n’est lui-même autre chose qu’un mode intérieur de représentation où certaines perceptions s’enchaînent les unes aux autres.