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CRITIQUE DE LA RAISON PURE (Ire ÉDITION)

Nous nous sommes déclaré dès le début pour cet idéalisme transcendental. Dans notre théorie il n’y a plus de difficulté à admettre l’existence de la matière sur le simple témoignage de notre conscience de nous-mêmes et à la tenir pour tout aussi bien prouvée par là que l’existence de moi-même comme être · pensant. J’ai en effet conscience de mes représentations ; elles existent donc et moi-même avec elles. Or les objets extérieurs (les corps) ne sont que des phénomènes, et par conséquent ils ne sont rien qu’un mode de mes représentations, dont les objets ne sont quelque chose que par ces représentations, mais ne sont rien en dehors d’elles. Les choses extérieures existent donc tout aussi bien que moi-même, et cela, dans ou cas comme dans l’autre, sur le témoignage immédiat de ma conscience, avec cette seule différence que la représentation de moi-même comme sujet pensant est simplement rapportée au sens intérieur, tandis que les représentations qui désignent des êtres étendus sont rapportées aussi au sens extérieur. Je n’ai pas plus besoin de faire un, raisonnement par rapport à la réalité des objets extérieurs que par rapport à celle de l’objet de mon sens intérieur (de mes pensées), car les premiers et le dernier ne sont que des représentations dont la perception immédiate (la conscience) est en même temps une preuve suffisante de leur réalité.

L’idéaliste transcendantal est donc un réaliste empirique : il accorde à la matière, considérée comme phénomène, une réalité qui ne peut être conclue, mais qui est immédiatement perçue. Le réalisme transcendental au contraire tombe nécessairement dans un grand embarras : il se voit forcé de faire place à l’idéalisme empirique, parce qu’il prend les objets des sens extérieurs pour quelque chose de distinct des sens mêmes, et de simples apparences pour des êtres indépendants qui se trouvent hors de nous. Quelque excellente en effet que soit la conscience de notre représentation de ces choses, il s’en faut encore de beaucoup que, si la représentation existe, l’objet qui lui correspond existe aussi, tandis que, dans notre système, ces choses extérieures, à savoir la matière, avec toutes ses formes et ses changements, ne sont, que de purs phénomènes, c’est-à-dire des représentations en nous, de la réalité desquelles nous avons immédiatement conscience.