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DES PARALOGISMES DE LA RAISON PURE

L’identité de ma personne se rencontre donc inévitablement dans ma propre conscience. Mais quand je me considère du point de vue d’un autre (comme objet de son intuition extérieure), cet observateur extérieur m’examine d’abord dans le temps, car dans l’aperception le temps n’est proprement représenté qu’en moi. Du moi qui accompagne en tout temps toutes les représentations dans ma conscience, avec une parfaite identité, de ce moi qu’il accorde cependant, il ne conclura donc pas encore la permanence objective de moi-même. En effet comme le temps où l’observateur me place alors n’est pas celui qui se trouve dans ma propre sensibilité, mais dans la sienne, l’identité qui est nécessairement liée à ma conscience ne l’est pas pour cela à la sienne, je veux dire à l’intuition extérieure de mon sujet.

L’identité de la conscience de moi-même en différents temps n’est donc qu’une condition formelle de mes pensées et de leur enchaînement, mais elle ne prouve pas du tout l’identité numérique de mon sujet, dans lequel, malgré l’identité logique du moi, un tel changement peut se produire qu’il ne permette pas d’en maintenir l’identité, tout en permettant de lui attribuer un même moi qui puisse, dans chaque nouvel état, même dans la transformation du sujet, conserver toujours les pensées du sujet précédent et les transmettre ainsi au suivant *[1].

Quoique cette proposition de quelques anciennes écoles que tout s’écoule dans le monde et que rien n’y est fixe et perma-

  1. * Une boule élastique qui en choque une autre en droite ligne lui communique tout son mouvement, par conséquent tout son état (si l’on ne considère que les positions dans l’espace). Or admettez, par analogie avec ces corps, des substances dont l’une transmettrait à l’autre ses représentations avec la conscience qui les accompagne, on concevrait ainsi toute une série de substances dont la première communiquerait son état, avec la conscience qu’elle en a, à une seconde, celle-ci le sien propre, avec celui de la substance précédente, à une troisième, et celle-ci à son tour les états de toutes les précédentes avec son propre état et la conscience de cet état. La dernière substance aurait donc conscience de tous les états qui se seraient succédé avant elle comme des siens propres, puisque ces états seraient passés en elle avec la conscience qui les accompagne, et pourtant elle n’aurait pas été la même personne dans tous ces états.