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CRITIQUE DE LA RAISON PURE (Ire ÉDITION)


apparence momentanée, mais un raisonnement qui semble supporter l’examen le plus pénétrant et la réflexion la plus profonde. Le voici.

Toute substance composée est un agrégat de plusieurs substances, et l’action d’un composé ou ce qui est inhérent à ce composé comme tel est un agrégat de plusieurs actes ou accidents qui sont répartis entre la multitude des substances. Or un effet résultant du concours de plusieurs choses agissantes est sans doute possible, quand cet effet est simplement extérieur (comme par exemple le mouvement d’un corps est le mouvement combiné de toutes ses parties). Mais il en est tout autrement des pensées, comme accidents internes inhérents à un être pensant. En effet supposez que le composé pense : chacune de ses parties renfermerait une partie de la pensée, et toutes ensemble seulement la pensée toute entière. Or cela est contradictoire. En effet, puisque les représentations réparties entre les différents êtres (par exemple les divers mots d’un vers) ne constituent jamais une pensée entière (un vers), la pensée ne peut être inhérente à un composé comme tel. Elle n’est donc possible que dans une seule substance, qui ne soit pas un agrégat de plusieurs, mais qui soit absolument simple *[1].

Le prétendu nervus probandi de cet argument réside dans cette proposition, que plusieurs représentations ne peuvent constituer une pensée qu’à la condition d’être renfermées dans l’unité absolue du sujet pensant. Mais nul ne peut prouver cette proposition par des concepts. En effet comment s’y prendrait-on pour le faire ? On ne saurait traiter analytiquement cette proposition : une pensée ne peut être que l’effet de l’absolue unité de l’être pensant. En effet l’unité de la pensée qui se compose de plusieurs représentations est collective et peut, au point de vue des seuls concepts, se rapporter à l’unité collective des substances qui y concourent (de même que le mouvement d’un corps est le mouvement combiné de toutes ses parties), tout aussi bien

  1. * Il est très-aisé de donner à cette preuve la précision de la forme scolastique ordinaire. Mais pour le but que je me propose il suffit de présenter l’argument sous une forme populaire.