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L’OPINION, LE SAVOIR ET LA FOI


que je ne cours pas plus risque de perdre cette foi que je ne crains de me voir jamais dépouillé de ce sentiment.

La seule difficulté qui se présente ici, c’est que cette foi rationnelle se fonde sur la supposition de sentiments moraux. Si nous mettons de côté cette supposition et que nous admettions quelqu’un qui soit entièrement indifférent aux lois morales, la question que soulève la raison devient alors simplement un problème pour la spéculation, et elle peut bien encore s’appuyer sur de fortes raisons tirées de l’analogie, mais non pas sur des raisons auxquelles doive se rendre le scepticisme le plus obstiné *[1]. Mais dans ces questions il n’y a pas d’homme qui soit exempt de tout intérêt. Car quand même, faute de bons sentiments, il serait étranger à l’intérêt moral, il ne pourrait s’empêcher de craindre un être divin et une vie future. Il suffit en effet qu’il ne puisse alléguer la certitude qu’il n’y a pas de Dieu et pas de vie future ; certitude qui exigerait, la chose devant être prouvée par la raison pure, c’est-à-dire apodictiquement, qu’il démontrât l’impossibilité de l’un et de l’autre, ce qu’aucun homme raisonnable ne peut assurément entreprendre. Ce serait une foi négative, qui à la vérité n’engendrerait pas la moralité et de bons sentiments, mais qui produirait du moins quelque chose d’ana-

  1. * L’esprit humain (comme je crois que cela arrive nécessairement à tout être raisonnable) prend un intérêt naturel à la moralité, bien que cet intérêt ne soit pas sans partage et qu’il n’ait pas toujours la prédominance dans la pratique. Affermissez et augmentez cet intérêt, et vous trouverez la raison très-docile et même plus éclairée pour unir à l’intérêt pratique l’intérêt spéculatif. Mais si vous ne prenez pas soin dès le début, ou au moins à moitié chemin, de rendre les hommes bons, vous n’en ferez jamais des hommes sincèrement croyants.