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L’OPINION, LE SAVOIR ET LA FOI


foi, même suivant son propre jugement, est purement accidentelle ; un autre trouverait peut-être mieux. Je nomme foi pragmatique une foi accidentelle de ce genre, mais qui sert de fondement à l’emploi réel des moyens pour certaines actions.

La pierre de touche ordinaire pour reconnaître si ce qu’affirme quelqu’un est une simple persuasion, ou du moins une conviction subjective, c’est-à-dire une foi ferme, est le pari. On voit souvent des gens exprimer leurs assertions avec tant d’assurance et d’aplomb qu’ils semblent avoir banni toute crainte d’erreur. Un pari les embarrasse. Ils se montrent parfois assez persuadés pour que leur persuasion vaille à leurs yeux un ducat, mais non pas dix. En effet ils risqueront bien un ducat ; mais, quand il s’agit de dix, ils commencent à s’apercevoir de ce qu’ils n’avaient pas remarqué jusque-là, c’est qu’il serait bien possible qu’ils se fussent trompés. Représentons-nous par la pensée que nous sommes mis en demeure de parier le bonheur de notre vie entière, alors notre jugement tout à l’heure si triomphant baisse de ton, nous sommes effrayés, et nous commençons à découvrir que notre foi ne va pas si loin. La foi pragmatique n’a donc qu’un degré, mais qui peut être grand ou petit, suivant la différence des intérêts qui y sont en jeu.

Mais, bien que nous ne puissions rien entreprendre par rapport à un objet et que par conséquent le fait de le tenir pour vrai est purement théorétique, comme cependant nous pouvons, en beaucoup de circonstances, embrasser par la pensée et imaginer une entreprise pour laquelle nous croyons avoir des raisons suffisantes, au cas où il y aurait moyen de prouver la certitude de la chose, il y a dans les jugements purement théorétiques