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MÉTHODOLOGIE TRANSCENDENTALE


tion de tous les obstacles de la moralité (des inclinations) ; car la liberté, mue en partie et en partie retenue par les lois morales, serait elle-même la cause du bonheur universel, et par conséquent les êtres raisonnables eux-mêmes, sous la direction de ces principes, seraient les auteurs de leur constant bien-être et en même temps de celui des autres. Mais ce système de la moralité qui se récompense elle-même n’est qu’une idée dont la réalisation suppose cette condition que chacun fasse ce qu’il doit, c’est-à-dire que toutes les actions des êtres raisonnables arrivent comme si elles émanaient d’une volonté suprême renfermant en soi ou dominant toute volonté particulière. Or, comme l’obligation imposée par la loi morale demeure la même pour l’usage particulier de la volonté de chacun, quand même les autres ne se conduiraient pas conformément à cette loi, ni la nature des choses du monde, ni la causalité des actions elles-mêmes et leur rapport à la moralité ne déterminent comment leurs conséquences se rapportent au bonheur, et la raison, en prenant uniquement la nature pour fondement, ne peut reconnaître ce lien nécessaire dont nous parlions tout à l’heure entre l’espoir d’être heureux et l’effort incessamment renouvelé pour se rendre digne du bonheur ; elle ne peut l’espérer qu’en posant en principe comme cause de la nature une raison suprême qui commande suivant des lois morales.

J’appelle idéal du souverain bien l’idée d’une intelligence où la volonté la plus parfaite moralement, jouissant de la souveraine félicité, est la cause de tout bonheur dans le monde, en tant que ce bonheur est exactement proportionné à la moralité (comme à ce qui rend digne d’être heureux). La raison pure ne peut donc