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DIALECTIQUE TRANSCENDENTALE


De même le sujet dans lequel la représentation du temps a originairement son fondement ne peut déterminer par là sa propre existence dans le temps ; et, si cette dernière chose est impossible, la première, c’est-à-dire la détermination de soi-même (comme être pensant en général) ne saurait non plus avoir lieu au moyen des catégories *[1].

  1. * Le je pense est, comme on l’a déjà dit, une proposition empirique, et renferme la proposition : j’existe. Mais je ne puis dire : tout ce qui pense existe ; car alors la propriété de la pensée ferait de tous les êtres qui la possèdent autant d’êtres nécessaires. Mon existence ne peut donc pas non plus être regardée, ainsi que Descartes l’a cru, comme déduite de la proposition : je pense (puisqu’autrement il faudrait supposer cette majeure : tout ce qui pense existe) mais elle lui est identique. Cette proposition exprime une intuition empirique, c’est-à-dire une perception indéterminée (ce qui prouve par conséquent que déjà la sensation, qui appartient à la sensibilité, sert de fondement à cette proposition concernant l’existence) ; mais elle précède l’expérience, qui doit, au moyen des catégories, déterminer l’objet de la perception relativement au temps. L’existence n’est donc pas ici une catégorie, en tant qu’elle se rapporte, non à un objet donné d’une manière indéterminée, mais à un objet dont on a un concept et dont on veut savoir s’il existe ou non en dehors de ce concept. Une perception indéterminée ne signifie ici que quelque chose de réel qui est donné, mais seulement pour la pensée en général, et non par conséquent comme phénomène ou comme chose en soi (comme noumène) quelque chose en un mot qui existe en fait et qui est désigné comme tel dans la proposition : je pense. Car il est à remarquer que, si j’ai appelé la proposition : je pense, une proposition empirique, je n’ai point voulu dire par là que le je soit dans cette proposition une représentation empirique, c’est bien plutôt une représentation intellectuelle, puisqu’elle appartient à la pensée en général. Sans doute, sans une représentation empirique qui fournit à la pensée sa matière, l’acte : je pense, n’aurait pas lieu ; mais l’élément empirique n’est que la condition de l’application ou de l’usage de la faculté intellectuelle pure.