Page:Kant - Critique de la raison pure, II.djvu/342

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
328
MÉTHODOLOGIE TRANSCENDENTALE


à faire de ce principe un usage qui dépassât toute expérience, il conclut la vanité de toute prétention de la raison en général à sortir de l’empirique.

On peut désigner sous le nom de censure de la raison une méthode de ce genre, qui consiste à soumettre à l’examen, et, suivant les circonstances, au blâme, les facta de la raison. Il est incontestable que cette censure conduit inévitablement au doute par rapport à tout usage transcendant des principes. Mais ce n’est là que le second pas, qui est encore bien loin de terminer l’œuvre. Le premier pas dans les choses de la raison pure, qui en marque l’enfance, est dogmatique. Le second pas, dont nous venons de parler, est sceptique, et témoigne de la circonspection du jugement averti par l’expérience. Or il faut encore un troisième pas, qui ne peut être fait que par un jugement mûr, viril, appuyé sur des maximes fermes et d’une universalité inattaquable : il consiste à soumettre à l’examen, non plus seulement les faits de la raison, mais la raison même, dans toute son étendue et dans toutes les connaissances pures à priori dont elle est capable. Ce n’est plus ici la censure, mais la critique de la raison : celle-ci ne se contente plus de conjecturer que la raison a des hommes, et qu’elle est ignorante sur tel ou tel point, mais elle en montre, suivant des principes, les limites précises et l’ignorance relativement à toutes les questions possibles, d’une certaine espèce. Ainsi le scepticisme est pour la raison humaine un lieu de repos, où elle peut songer au voyage dogmatique qu’elle vient de faire, et tracer le plan du pays où elle se trouve, afin de se rendre capable de choisir désormais sa route avec plus de sûreté ; mais ce n’est pas un lieu où elle puisse fixer sa résidence. Ce lieu en effet ne peut se trouver