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MÉTHODOLOGIE TRANSCENDENTALE


tions en poussière, et ainsi de bonne heure il se sentira la force de se garantir de ces apparences nuisibles, qui finiront par perdre à ses yeux tout leur prestige. Il est bien vrai que les mêmes coups qui ruinent l’édifice de l’ennemi seraient également funestes à l’édifice spéculatif qu’il voudrait bâtir lui-même ; mais il est à ce sujet sans inquiétude, parce qu’il n’a pas besoin d’une semblable construction, et qu’il aperçoit devant lui le champ pratique où il peut espérer avec raison de trouver un terrain plus solide pour y élever un système rationnel et salutaire.

Il n’y a donc proprement aucune polémique dans le champ de la raison pure. De part et d’autre les coups portent dans l’air, et les combattants n’ont affaire qu’à leur ombre, car ils sortent des limites de la nature et passent dans une région où leur dogmatisme ne trouve pas la moindre prise, où il n’y a rien qu’il puisse saisir et retenir. Quand ils se croient les vainqueurs, les ombres qu’ils ont pourfendues reparaissent en un clin d’œil comme les héros du Walhalla, et ils peuvent toujours se donner le plaisir de combats aussi peu sanglants.

On ne saurait admettre non plus qu’on fît de la raison pure un usage sceptique, qui serait comme un principe de neutralité dans toutes ses controverses. Mettre la raison aux prises avec elle-même, lui fournir des armes des deux côtés et regarder tranquillement et d’un air railleur, cette lutte ardente, cela ne fait point bon effet au point de vue dogmatique, mais semble dénoter un esprit malin et méchant. Si cependant on considère l’aveuglement et l’orgueil des sophistes qu’aucune critique ne peut tempérer, il n’y a pas d’autre parti à prendre que d’opposer à leur jactance celle du parti con-