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DISCIPLINE DE LA RAISON PURE


qui s’y fonde. C’est ainsi que, comme le dit Hobbes, l’état de nature est un état d’injustice et de violence, d’où l’on doit nécessairement sortir pour se soumettre à une contrainte légale qui ne limite notre liberté que pour l’accorder avec celle de chacun et par là avec le bien général.

À cette liberté se rattache donc aussi celle de soumettre au jugement public, sans être réputé pour cela un citoyen turbulent et dangereux, les difficultés et les doutes qu’on n’a pu résoudre soi-même. C’est ce qui résulte déjà du droit primitif de la raison humaine, laquelle ne connaît d’autre tribunal que la raison commune, où chacun a sa voix ; et comme c’est de cette raison commune que doivent venir toutes les améliorations dont notre état est susceptible, un tel droit est sacré et doit être respecté. Aussi est-il très-peu sensé de proclamer dangereuses certaines assertions hasardées ou certaines attaques inconsidérées contre des choses qui ont déjà pour elles l’assentiment de la plus grande et de la meilleure partie du public ; car c’est leur donner une importance qu’elles ne devraient pas avoir. Quand j’entends dire qu’un esprit peu commun a renversé par ses arguments la liberté de la volonté humaine, l’espérance d’une vie future et l’existence de Dieu, je suis curieux de lire son livre, car j’attends de son talent qu’il étende mes idées. Je suis parfaitement certain d’avance qu’il n’aura rien détruit de tout cela ; non que je me croie en possession d’arguments irréfutables en faveur de ces importants objets, mais la critique transcendentale, qui m’a découvert tout le dépôt de notre raison pure, m’a appris de la manière la plus certaine que, si la raison est incapable d’établir des assertions affirmatives dans ce champ,


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