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DISCIPLINE DE LA RAISON PURE


conviction purement pratique, et à reconnaître que nous ne possédons pas une certitude spéculative et apodictique. Cependant je serais disposé à penser que rien au monde ne s’accorde plus mal avec le dessein de soutenir une bonne cause que la ruse, la dissimulation et le mensonge. Le moins qui puisse être exigé, c’est que l’on montre une entière sincérité dans l’appréciation des principes rationnels de la pure spéculation. C’est bien peu de chose ; mais, si l’on pouvait seulement compter là-dessus, les luttes de la raison spéculative sur les importantes questions de Dieu, de l’immortalité (de l’âme) et de la liberté seraient depuis longtemps terminées ou ne tarderaient pas à l’être. Mais souvent la sincérité des sentiments est en raison inverse de la bonté de la cause, et la droiture est peut-être plus fréquemment du côté des adversaires de la bonne cause que du côté de ses défenseurs.

Je suppose donc des lecteurs qui ne veuillent pas qu’une bonne cause soit défendue par de mauvaises raisons. Pour ceux-là il est décidé maintenant que, d’après les principes de notre critique, si l’on regarde non ce qui a lieu, mais ce qui devrait avoir lieu, il n’y a point proprement de polémique de la raison pure. En effet comment deux personnes pourront-elles engager une discussion sur une chose dont ni l’une ni l’autre ne peuvent montrer la réalité dans une expérience réelle ou seulement possible, et dont elles sont obligées de couver en quelque sorte l’idée pour en tirer quelque chose de plus que l’idée, à savoir la réalité de l’objet même ? Par quel moyen termineront-elles la controverse, puisqu’aucune des deux ne peut rendre sa cause compréhensible et certaine, mais seulement attaquer et réfuter celle de son adversaire ? Tel est en effet le sort de toutes les affirmations de la raison pure : comme