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DISCIPLINE DE LA RAISON PURE


glante, mais fort utile à vos connaissances. Il est tout à fait absurde de demander à la raison des lumières, et de lui prescrire d’avance le parti qu’elle doit prendre. D’ailleurs la raison est assez bien réprimée et retenue dans ses limites par la raison ; vous n’avez pas besoin d’appeler la garde pour opposer la force publique au parti dont la prédominence vous semble dangereuse. Dans cette dialectique, il n’y a pas de victoire dont vous ayez sujet de vous alarmer.

Bien plus, la raison a besoin d’une lutte semblable, et il serait à souhaiter qu’elle se fût engagée plus tôt et avec une liberté sans limites. Car alors on eût vu paraître plus tôt cette mûre critique qui doit faire tomber d’elles-mêmes toutes ces querelles, en apprenant aux combattants à reconnaître l’illusion dont ils étaient les jouets et les préjugés qui les ont divisés.

Il y a dans la nature humaine une certaine fausseté qui doit en définitive, comme tout ce qui vient de la nature, aboutir à une bonne fin ; je veux parler de ce penchant que nous avons à cacher nos véritables sentiments et à en étaler certains autres que nous tenons pour bons et honorables. Il est bien certain que ce penchant qui porte les hommes à dissimuler leurs sentiments et à prendre une apparence avantageuse n’a pas servi seulement à les civiliser, mais à les moraliser peu à peu dans une certaine mesure, parce que personne ne pouvant pénétrer à travers le fard de la décence, de l’honnêteté et de la moralité, on trouva dans ces prétendus bons exemples qu’on voyait autour de soi une école d’amélioration pour soi-même. Toutefois cette disposition à vouloir paraître meilleur qu’on n’est, et à montrer des sentiments qu’on n’éprouve pas, n’a qu’une utilité provisoire : elle sert à