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MÉTHODOLOGIE TRANSCENDENTALE


Ils ne s’inquiètent nullement de savoir d’où ont pu leur venir les concepts d’espace et de temps dont ils s’occupent (comme des seuls quanta primitifs), et il leur paraît inutile de chercher l’origine des concepts purs de l’entendement et par là la sphère de leur légitime application ; ils se contentent de s’en servir. En tout cela ils font très-bien, dès qu’ils ne transgressent pas les limites qui leur sont assignées, je veux dire les bornes de la nature. Autrement ils se laissent peu à peu glisser du champ de la sensibilité sur le terrain mal assuré des concepts purs et même transcendentaux, où ils ne trouvent ni terre solide qui les supporte, ni eau qui leur permette de nager (instabilis tellus, innabilis unda), et où leurs pas fugitifs ne laissent pas la moindre trace, tandis que dans les mathématiques ils ouvrent une grande route que la postérité la plus reculée peut encore suivre avec confiance.

Puisque nous nous sommes fait un devoir de déterminer exactement et avec certitude les limites de la raison pure dans l’usage transcendental, mais que cette faculté a ceci de particulier que, malgré les avertissements les plus pressants et les plus clairs, elle se laisse leurrer par l’espoir de parvenir, par de là les limites des expériences, dans les attrayantes contrées de l’intellectuel, il est nécessaire de lui enlever encore en quelque sorte la dernière ancre d’une espérance fantastique, en lui montrant que l’application de la méthode mathématique dans cette espèce de connaissance ne peut lui procurer le moindre avantage, si ce n’est peut-être celui de lui découvrir plus clairement ses propres défauts ; que la géométrie et la philosophie sont deux choses tout à fait