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MÉTHODOLOGIE TRANSCENDENTALE


très-considérable, une instruction négative, qui ne sert qu’à nous préserver des erreurs, a beaucoup plus d’importance que mainte instruction positive par où notre connaissance pourrait être augmentée. La contrainte qui réprime et finit par détruire le penchant qui nous pousse constamment à nous écarter de certaines règles, s’appelle discipline. La discipline se distingue de la culture, qui a pour but de procurer une aptitude sans en supprimer une autre déjà existante. Dans la culture d’une disposition naturelle qui est déjà portée par elle-même à se développer, la discipline ne fournira donc qu’un secours négatif *[1], mais la culture et la doctrine en donneront un positif.

Que le tempérament, ainsi que les dispositions naturelles qui se permettent volontiers un mouvement libre, et illimité (comme l’imagination et l’esprit), aient à beaucoup d’égards besoin d’une discipline, c’est ce que chacun accordera aisément. Mais que la raison dont le propre est de nous obliger à prescrire une discipline à toutes les autres tendances de notre nature ait besoin elle-même, d’une discipline, c’est ce qui peut sans doute paraître étrange ; et dans le fait elle a échappé jusqu’ici à une pareille humiliation, parce qu’en voyant son air solennel et imposant, personne ne pouvait la soupçonner de subs-

  1. * Je sais bien que, dans le langage de l’école, on a coutume d’employer le mot de discipline comme synonyme de celui d’instruction. Mais il y a beaucoup d’autres cas où la première expression est soigneusement distinguée de la seconde, chacune d’elles étant prise dans son sens propre ; et la nature des choses exige même que l’on réserve en faveur de cette distinction les seules expressions convenables. Je souhaite donc que l’on ne se permette jamais d’employer ce mot dans un autre sens que dans le sens négatif.