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DIALECTIQUE TRANSCENDENTALE


préhensible et dans l’insondable, sur des hauteurs où elle est nécessairement saisie de vertige, en se voyant entièrement privée de tout usage conforme à l’expérience.

Lorsqu’au lieu de se servir de l’idée d’un être suprême comme d’un principe purement régulateur, on l’emploie (ce qui est contraire à la nature d’une idée) comme un principe constitutif, le premier inconvénient qui en résulte est la raison paresseuse (ignava ratio *[1]). On peut nommer ainsi ce principe qui fait que l’on regarde son investigation de la nature, en quoi que ce soit, comme absolument achevée, et que la raison se livre au repos comme si elle avait entièrement accompli son œuvre. L’idée psychologique elle-même, quand on l’emploie comme un principe constitutif pour expliquer les phénomènes de notre âme, et ensuite pour étendre au-delà de toute expérience notre connaissance de ce sujet (pour connaître son état après la mort), est sans doute très-commode pour la raison ; mais elle corrompt et elle ruine tout l’usage naturel qu’on en peut faire en suivant la direction des expériences. C’est ainsi que le spiritualiste dogmatique explique l’unité de la personne, qui persiste toujours la même à travers tous les changements de ses états, par l’unité de la substance pensante, qu’il croit percevoir immédiatement dans le moi : ou bien l’intérêt

  1. * C’est ainsi que les anciens dialecticiens nommaient un sophisme qui se formulait en ces termes : Si ton destin le veut, tu guériras de cette maladie, que tu prennes un médecin ou que tu n’en prennes pas. Cicéron dit que cette espèce de raisonnement tire son nom de ce qu’en le suivant, on ne fait plus dans la vie aucun usage de sa raison. Tel est le motif pour lequel je désigne sous ce même nom l’argument sophistique de la raison pure.