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CRITIQUE DE TOUTE THÉOLOGIE SPÉCULATIVE


substance même (la matière) est contingente dans son existence, ce serait là une connaissance rationnelle purement spéculative. Mais quand même il ne serait question que de la forme du monde, du mode de liaison et de la vicissitude de ses parties, si j’en voulais conclure une cause tout à fait distincte du monde, ce ne serait encore là qu’un jugement de la raison purement spéculative, parce que l’objet n’est point ici un objet d’expérience possible. Le principe de la causalité, qui n’a de valeur que dans le champ de l’expérience et qui en dehors de ce champ est sans usage, même sans signification, serait ici tout à fait détourné de sa destination.

Or je soutiens que tous les essais d’un usage purement spéculatif de la raison en matière de théologie sont absolument infructueux, et qu’ils sont en eux-mêmes nuls et de nulle valeur ; que, d’un autre côté, les principes de son usage naturel ne conduisent à aucune théologie, et que par conséquent, si l’on ne prend pas pour base les lois morales, ou si l’on ne s’en sert pas comme d’un fil conducteur, il ne peut y avoir de théologie de la raison. En effet l’usage de tous les principes synthétiques de l’entendement est immanent, mais la connaissance d’un être suprême exige un usage transcendant de ces principes auquel notre entendement n’est point propre. Pour que la loi de la causalité, dont la valeur est empirique, pût conduire à l’être premier, il faudrait que celui-ci appartînt à la chaîne des objets de l’expérience ; mais alors il serait lui-même à son tour conditionnel, comme tous les phénomènes. Mais nous permît-on de sauter hors des limites de l’expérience au moyen de la loi dynamique du rapport des effets à leurs causes, quel concept cette manière de procéder pourrait-elle nous