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IMPOSSIBILITÉ DE LA PREUVE PHYSIQUE


que les choses du monde seraient par elles-mêmes et suivant des lois générales impropres à un tel ordre et à une telle harmonie, si elles n’étaient pas, même dans leur substance, le produit d’une sagesse suprême ; et pour cela il faudrait une tout autre preuve que celle qui se fonde sur l’analogie avec l’art humain. Cette preuve pourrait donc tout au plus démontrer un architecte du monde 1[1], qui serait toujours très-limité par la nature de la matière qu’il travaillerait, mais non un créateur du monde 2[2], à l’idée duquel tout serait soumis, ce qui est loin de suffire pour le grand but que l’on a en vue, qui est de démontrer un être suprême suffisant à tout. Que si nous voulions démontrer la contingence de la matière même, il nous faudrait recourir à un argument transcendental, qui a dû être écarté ici.

Le raisonnement conclut donc de l’ordre et de la finalité que l’on peut observer partout dans le monde, comme d’une disposition entièrement contingente à l’existence d’une cause qui y soit proportionnée. Mais le concept de cette cause doit nous en faire connaître quelque chose de tout à fait déterminé, et il ne peut être autre par conséquent que celui d’un être possédant toute puissance, toute sagesse, etc., en un mot toute perfection, ou d’un être parfaitement suffisant. En effet les prédicats de puissance et d’excellence très-grandes, étonnantes, incommensurables, ne donnent pas du tout un concept déterminé et ne disent pas proprement ce que la chose est en soi ; mais ils ne sont que des représentations relatives de la grandeur de l’objet, que l’observateur (du monde}

  1. 1 Weltbaumeister.
  2. 2 Weltschöpfer.