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IMPOSSIBILITÉ DE LA PREUVE PHYSIQUE


en rabaissant le langage dogmatique d’un disputeur tranchant au ton de modération et de modestie convenable à une foi qui suffit pour le repos, mais qui ne commande pas une soumission absolue. Je soutiens donc que la preuve physico-théologique ne peut démontrer par elle seule l’existence d’un être suprême, mais qu’elle est toujours obligée de laisser à l’argument ontologique (auquel elle ne fait que servir d’introduction) le soin de combler la lacune qu’elle laisse après elle, et que par conséquent ce dernier argument est inévitable pour toute raison humaine et qu’il est la seule preuve possible (si tant est qu’il y ait une preuve spéculative).

Les principaux moments de la preuve physico-théologique en question sont les suivants : 1° Il y a partout dans le monde des signes manifestes d’une ordonnance réglée sur un dessein déterminé, exécutée avec une grande sagesse et formant un tout d’une variété inexprimable tant par son contenu que par la grandeur infinie de son étendue. 2° Cette ordonnance harmonieuse n’est pas inhérente aux choses du monde, mais elle ne leur appartient que d’une manière contingente, c’est-à-dire que la nature de choses diverses ne pouvait pas s’accommoder d’elle-même, par tant de moyens concordants, à des fins déterminées, si elles n’avaient pas été choisies tout exprès et appropriées à ce but par un principe raisonnable, ordonnant le monde suivant certaines idées. 3° Il existe donc une (ou plusieurs) cause sage et sublime qui doit produire le monde, non pas seulement, comme une nature toute-puissante agissant aveuglément, par sa fécondité, mais comme une intelligence, par sa liberté. 4° L’unité de cette cause se conclut de celle des rapports mutuels des parties du monde envisagées comme