Page:Kant - Critique de la raison pure, II.djvu/223

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
210
DIALECTIQUE TRANSCENDENTALE


tale d’un être premier, nécessaire et absolument suffisant, est si immensément grande, si élevée au-dessus de tout ce qui est empirique, chose toujours conditionnelle, que, d’une part, on ne saurait jamais trouver assez de matière dans l’expérience pour remplir un tel concept, et que, d’autre part, on tâtonne toujours dans le conditionnel et que l’on cherche toujours en vain l’inconditionnel, dont aucune loi d’une synthèse empirique ne donne un exemple ni le moindre indice.

Si l’être suprême était dans cette chaîne des conditions, il serait lui-même un anneau de la série ; et de même que les anneaux inférieurs en tête desquels il est placé, il exigerait la recherche ultérieure d’un principe encore plus élevé. Veut-on au contraire le détacher de cette chaîne, et, en tant qu’être purement intelligible, ne pas le comprendre dans la série des causes naturelles, quel pont la raison peut-elle bien jeter pour arriver jusqu’à lui ? Toutes les lois du passage des effets aux causes, toute synthèse même et toute extension de notre connaissance en général n’ont-elles pas uniquement pour but l’expérience possible, c’est-à-dire les objets du monde sensible, et peuvent-elles avoir un autre sens ?

Le monde actuel, soit qu’on l’envisage dans l’immensité de l’espace ou dans son infinie division, nous offre un si vaste théâtre de variété, d’ordre, de finalité et de beauté que, malgré la médiocrité des connaissances que notre faible intelligence a pu en acquérir, devant tant et de si grandes merveilles, toute langue perd sa force d’expression, tout nombre sa puissance de mesure et nos pensées mêmes toutes leurs limites, si bien que notre jugement sur le tout finit par se résoudre en un étonnement muet, mais d’autant plus éloquent. Partout nous