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DIALECTIQUE TRANSCENDENTALE


être souverainement suffisant comme cause de tous les effets possibles, afin de faciliter à la raison l’unité des principes d’explication qu’elle cherche. Mais d’aller jusqu’à dire qu’un tel être existe nécessairement, ce n’est plus là la modeste expression d’une hypothèse permise, mais l’orgueilleuse prétention d’une certitude apodictique, car la connaissance de ce que l’on présente comme absolument nécessaire doit emporter aussi une nécessité absolue.

Tout le problème de l’idéal transcendental revient donc à trouver soit un concept à la nécessité absolue, soit au concept d’une chose l’absolue nécessité de cette chose. Si l’on peut faire l’un des deux, on doit aussi pouvoir faire l’autre ; car la raison ne reconnaît comme absolument nécessaire que ce qui est nécessaire d’après son concept. Mais l’un et l’autre sont au-dessus de tous les efforts que nous pouvons tenter pour satisfaire sur ce point notre entendement, et de ceux aussi que nous pouvons faire pour le tranquilliser sur son impuissance.

La nécessité absolue dont nous avons si indispensablement besoin, comme du dernier soutien de toutes choses, est le véritable abîme de la raison humaine. L’éternité même, sous quelque sublime et effrayante image que l’ait dépeinte Haller, ne frappe pas à beaucoup près l’esprit de tant de vertige ; car elle ne fait que mesurer la durée des choses, elle ne les soutient pas. On ne peut ni éloigner de soi ni supporter cette pensée qu’un être, que nous nous représentons comme le plus élevé entre tous les êtres possibles, se dise en quelque sorte à lui-même : je suis de toute éternité ; en dehors de moi, rien n’existe que par ma volonté ; mais d’où suis-je donc ? Ici tout s’écroule au-dessous de nous, et la plus grande perfection, comme la plus petite, flotte suspen-