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DE L’UNION DE LA LIBERTÉ AVEC LA NÉCESSITÉ


n’est en effet dans tous ces rapports de temps ; et même le devoir, quand on n’a devant les yeux que le cours de la nature, n’a aucune espèce de sens. On ne peut pas plus demander ce qui doit être dans la nature qu’on ne pourrait demander quelles propriétés un cercle doit avoir ; tout ce qu’on peut demander, c’est ce qui arrive dans la nature, ou quelles sont les propriétés du cercle.

Ce devoir exprime une action possible dont le principe n’est autre qu’un pur concept, tandis que le principe d’une action simplement naturelle est toujours nécessairement un phénomène. Or il faut sans doute que l’action soit possible sous des conditions naturelles, quand le devoir s’y applique ; seulement ces conditions naturelles ne concernent pas la détermination de la volonté elle-même, mais son effet et sa conséquence dans le phénomène. Quelque nombreuses que soient les raisons naturelles qui me poussent à vouloir, quelque nombreux que soient les mobiles sensibles, ils ne sauraient produire le devoir, mais seulement un vouloir qui, bien loin d’être nécessaire, est toujours conditionnel, et auquel au contraire le devoir, qui exprime la raison, impose une mesure et un but, même une défense et une autorité. Que l’on suppose un objet de la simple sensibilité (l’agréable), ou même un objet de la raison pure (le bien), la raison ne cède point à un principe qui est donné empiriquement, et elle ne suit pas l’ordre des choses, telles qu’elles se montrent dans le phénomène ; mais elle se crée avec une parfaite spontanéité un ordre propre suivant des idées auxquelles elle adapte les conditions empiriques et d’après lesquelles elle tient pour nécessaires des actions qui ne sont pas arrivées et qui peut-être n’arriveront pas, mais sur lesquelles elle suppose néanmoins qu’elle peut