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CRITIQUE DE LA RAISON PURE


comme science fondamentale, à cette perfection, et c’est d’elle qu’on doit pouvoir dire :

Nil actum reputans, si quid superesset agendum.

Mais quel est donc, demandera-t-on, ce trésor que nous pensons léguer à la postérité dans une métaphysique ainsi épurée par la critique, et par elle aussi ramenée à un état fixe ? Un coup-d’œil rapide jeté sur cette œuvre donnera d’abord à penser que l’utilité en est toute négative, ou qu’elle ne sert qu’à nous empêcher de pousser la raison spéculative au delà des limites de l’expérience, et c’est là dans le fait sa première utilité. Mais on s’apercevra bientôt que son utilité est positive aussi, par cela même que les principes sur lesquels s’appuie la raison spéculative pour se hasarder hors de ses limites, ont en réalité pour conséquence inévitable, non pas l’extension[ndt 1], mais, à y regarder de plus près, la restriction[ndt 2] de l’usage de notre raison. C’est qu’en effet ces principes menacent de tout renfermer dans les limites de la sensibilité, de laquelle ils relèvent proprement, et de réduire ainsi à néant l’usage pur (pratique) de la raison. Or une critique qui limite la raison dans son usage spéculatif est bien négative par ce côté-là ; mais, en supprimant du même coup l’obstacle qui en restreint l’usage pratique, ou menace même de l’anéantir, elle a en effet une utilité positive de la plus haute importance. C’est ce que l’on reconnaîtra aussitôt qu’on sera convaincu que la raison pure a un usage pratique absolument nécessaire (je veux parler de l’usage moral), où elle s’étend inévitablement au delà des bornes de la sensibilité et

  1. Erveiterung.
  2. Verengung.