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CRITIQUE DE LA RAISON PURE

Cette tentative réussit à souhait, et elle promet la marche assurée d’une science à la première partie de la métaphysique, à celle où l’on n’a affaire qu’à des concepts à priori, dont les objets correspondants peuvent être donnés dans une expérience conforme à ces concepts. En effet, à l’aide de ce changement de méthode, il est facile de s’expliquer la possibilité d’une connaissance à priori, et, ce qui est encore plus important, de munir de preuves suffisantes les lois qui servent à priori de fondement à la nature, considérée comme l’ensemble des objets de l’expérience ; deux choses qui étaient impossibles avec la méthode usitée jusqu’ici. Mais cette déduction de notre faculté de connaître à priori conduit, dans la première partie de la métaphysique, à un résultat étrange, et, en apparence, tout à fait contraire au but que poursuit la seconde partie : c’est que nous ne pouvons avec cette faculté dépasser les bornes de l’expérience possible, ce qui est pourtant l’affaire la plus essentielle de la métaphysique. D’un autre côté, l’expérimentation nous fournit ici même une contre-épreuve de la vérité du résultat auquel nous arrivons dans cette première appréciation de notre

    positions de la raison pure en soumettant leurs objets à l’expérimentation (comme cela a lieu en physique), surtout si elles sont hasardées en dehors des limites de toute expérience possible. L’épreuve ne pourra donc se faire que sur des concepts et des principes admis à priori : on les envisagera de telle sorte qu’on puisse considérer les mêmes objets sous deux points de vue différents, d’un côté comme des objets des sens et de l’entendement, c’est-à-dire comme des objets d’expérience ; et, de l’autre, comme des objets que l’on se borne à concevoir, c’est-à-dire comme des objets de la raison pure, isolée, et s’efforçant de s’élever au-dessus des limites de l’expérience. Or, s’il se trouve qu’en envisageant les choses de ce double point de vue, on arrive à s’accorder avec le principe de la raison pure, tandis qu’envisagées sous un seul elles donnent lieu à un inévitable conflit de la raison avec elle-même, alors l’expérimentation décide en faveur de l’exactitude de cette distinction.